Au sujet de la miséricorde
Dans la bulle d'indiction Misericordiae Vultus que le pape François a rédigée pour l'ouverture du jubilé de la miséricorde, le Saint Père nous invite à redécouvrir la profondeur de ce qui se cache derrière le mot "miséricorde". Dans son livre-entretien avec le journaliste italien Andrea Tornielli, sorti en librairie en janvier dernier, le pape François va même jusqu'à dire que Le nom de Dieu est Miséricorde.Deux papes avant lui ont replacé la miséricorde au coeur de l'Église : le pape Jean XXIII, et le pape Jean-Paul II.
Nous retrouvons beaucoup de réflexions sur la miséricorde dans le journal spirituel du pape Jean XXX. Pour lui, "il s'agit du plus beau nom pour s'adresser à Dieu". Le 11 octobre 1962, le jour de l'ouverture du Concile Vatican II, il dira : "Mieux vaut recourir aux remèdes de la miséricorde que brandir les armes de la sévérité". Le ton est donné ! Ce concile n'aura pas pour vocation de redire la doctrine de la foi et de condamner, mais d'offrir un nouveau visage de l'Église en proposant la miséricorde à tous. Dans cette lignée, les seize documents du Concile apporteront un nouveau souffle, modifiant définitivement la relation entre l'Église et le monde. Dès lors, on baptisera ceux qu'on ne pouvait pas baptiser, on proposera des funérailles à ceux qui ne pouvaient en bénéficier... Le thème de la miséricorde devient un thème fondamental. 50 ans plus tard, le pape François écrira : "La miséricorde est le pilier qui soutient la vie de l’Église".
Le pape Jean-Paul II approfondit ce que le pape Jean XXIII a amorcé dès sa deuxième encyclique "Il est riche en miséricorde" (" Dives in Misericordia " du le 30 novembre 1980), où il rappelle "qu'il n'y a pas de justice sans miséricorde". Il poursuit sur cette voie en canonisant soeur Faustine, apôtre de la miséricorde, le 30 avril 2000, et en instaurant le Dimanche de la miséricorde divine, le dimanche qui suit Pâques (appelé le dimanche blanc).
Par l'intermédiaire de sœur Faustine, apôtre de la miséricorde divine, le Seigneur Jésus transmet au monde entier Son grand message de la Miséricorde Divine et montre un modèle de perfection chrétienne fondée sur la confiance en Dieu et sur une attitude miséricordieuse envers le prochain.(Marie-Faustine Kowalska , apôtre de la Miséricorde divine )
Dès sa première encyclique "Dieu est amour" (Deus caritas est 25 décembre 2005), le pape Benoît XVI poursuivra l'élan de ses prédecesseurs.
Que de chemin parcouru depuis Vatican II !
Toutes ces encycliques nous ont permis de voir le visage de Dieu, celui de l'Évangile. Celui d'un Dieu qui ne condamne pas mais qui est amour et miséricorde.
Le mot "miséricorde" désigne, en hébreu, le cœur profond, les "entrailles" qui frémissent sous le coup de la douleur et de la peine. Cette peine et cette douleur, Jésus l'a expérimentée quand il croisaient des gens qui ne pouvaient plus vivre une vie digne, qui étaient rejetés. Cette douleur et cette peine, je ne connais aucun père, aucune mère qui ne l'a expérimentée quand ils sont confrontés aux difficultés de leur enfant. Cet attachement profond d'un être pour un autre est l'essence même de la miséricorde. On ne peut la connaître que si on est profondément attaché à quelqu'un d'autre ; elle est le contraire de l'indifférence, du détachement, de la froideur". (Père Jean Luc-Souveton)
Carême et miséricorde
"Puisse le Carême de cette Année Jubilaire être vécu plus intensément comme un temps fort pour célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu", écrit le pape François dans sa bulle d'indiction du jubilé de la miséricorde au chapitre 15. "La miséricorde, cette loi fondamentale qui habite le coeur de chacun quand il jette un regard sincère sur le frère qu'il rencontre sur le chemin de la vie".■ Comment célébrer et expérimenter la miséricorde de Dieu ?
Il s'agit dans un premier temps, de ressentir la miséricorde de Dieu pour soi-même et dans un deuxième temps, de faire preuve de miséricorde envers son prochain par des actions charitables. C'est ce que le pape appelle "les oeuvres de miséricordes corporelles et spirituelles". Au nombre de 14, les oeuvres de miséricordes corporelles sont extraites de l'évangile de Matthieu 25, 40-45 (le Jugement dernier) : "Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi que vous l’avez fait" .Les oeuvres de miséricordes spirituelles sont, quant à elle, énoncées à partir de textes bibliques et des attitudes personnelles du Christ : le pardon, la correction fraternelle, la consolation, la souffrance endurée etc
Ainsi, dans l’attention aux exclus, la miséricorde chrétienne rejoint le cœur de la foi : rencontrer les plus pauvres.
■ Le Carême est un temps favorable à la conversion.
Redécouvrons les œuvres de miséricorde corporelles : donner à manger aux affamés, donner à boire à ceux qui ont soif, vêtir ceux qui sont nus, accueillir les étrangers, assister les malades, visiter les prisonniers, ensevelir les morts. Et n’oublions pas les œuvresde miséricorde spirituelles : conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs, consoler les affligés, pardonner les offenses, supporter patiemment les personnes ennuyeuses, prier Dieu pour les vivants et pour les morts. », Pape François Bulle d’indiction N°15Miséricorde et écologie
"Mais l’aumône nous engage aussi à devenir plus conscients des processus économiques et politiques qui empêchent de faire de notre Terre une « maison commune » pour toute l’humanité", souligne le pape dans son encyclique Loué sois-tu, pour la sauvegarde de la maison commune (Laudato Si'). Ainsi, miséricorde et écologie sont liées.Cette encyclique, parue en 2015, fait suite à toutes une série d'encycliques sur la pensée sociale de l'Église, la première datant de 1891 (L'industrialisation et la misère ouvrière ; L'ordre social ; La paix sur la terre ; Le développement des pays pauvres, La critique du néolibéralisme). Elle nous invite à un changement de paradigme (changement de pensée) ; à nous interroger sur nos valeurs ; sur le monde de demain que nous voulons construire. Cette encyclique, ce sont les œuvres spirituelles du pape François à notre égard : il vient conseiller ceux qui sont dans le doute, enseigner les ignorants, avertir les pécheurs... Car "un crime contre la nature est un crime contre nous-même et un péché contre Dieu".
Quelques chiffres qui doivent nous interpeller : 2015 a été l'année la plus chaude enregistrée avec + 2.6 degrés. D'ici 2050, il y aura 60 millions de réfugiés climatiques en Europe. Le pape nous invite à ne pas ignorer cette réalité. Cela ne passera que par une réelle conversion du cœur.
S’il est vrai que « les déserts extérieurs se multiplient dans notre monde, parce que les déserts intérieurs sont devenus très grands » la crise écologique est un appel à une profonde conversion intérieure. Mais nous devons aussi reconnaître que certains chrétiens, engagés et qui prient, ont l’habitude de se moquer des préoccupations pour l’environnement, avec l’excuse du réalisme et du pragmatisme. D’autres sont passifs, ils ne se décident pas à changer leurs habitudes et ils deviennent incohérents. Ils ont donc besoin d’une conversion écologique, qui implique de laisser jaillir toutes les conséquences de leur rencontre avec Jésus-Christ sur les relations avec le monde qui les entoure. Vivre la vocation de protecteurs de l’œuvre de Dieu est une part essentielle d’une existence vertueuse ; cela n’est pas quelque chose d’optionnel ni un aspect secondaire dans l’expérience chrétienne. Laudato Si' 217, 218
■ Et l'espérance dans tout cela ?
Cependant, tout n’est pas perdu, parce que les êtres humains, capables de se dégrader à l’extrême, peuvent aussi se surmonter, opter de nouveau pour le bien et se régénérer, au-delà de tous les conditionnements mentaux et sociaux qu’on leur impose. Ils sont capables de se regarder eux-mêmes avec honnêteté, de révéler au grand jour leur propre dégoût et d’initier de nouveaux chemins vers la vraie liberté. Il n’y a pas de systèmes qui annulent complètement l’ouverture au bien, à la vérité et à la beauté, ni la capacité de réaction que Dieu continue d’encourager du plus profond des cœurs humains. Je demande à chaque personne de ce monde de ne pas oublier sa dignité que nul n’a le droit de lui enlever. (Pape François Laudato Si' 205)
Après le pique-nique, la seconde partie de la conférence traitait de l'écologie intégrale.
Frédérique Défrade